mardi 8 mars 2011

La Marseillaise de Rude

Le Départ des Volontaires. 1833-1836. Haut relief de l'Arc de Triomphe
Place de l'Etoile. Paris
Cette sculpture réalisée par Rude est l'une des plus célèbre du XIXème siècle, elle va forger la renommée de l'artiste et influencer de nombreux artistes contemporains jusqu'aux ruptures du XXème siècle. Cependant, elle a servi de nombreux discours idéologiques bien éloignés des intentions de son créateur tant elle a été utilisée, manipulée et détournée. Mais en retour, elle contribua à façonner l'image de Rude telle que l'historiographie nous l'a léguée, celle d'un chantre de l'épopée révolutionnaire. 
Voulue par la Monarchie de Juillet, le Départ des Volontaires est d'abord un choix politique  renouant avec la Grande Révolution dans l'esprit de juillet 1830. C'est un choix patriotique permettant de satisfaire l'opinion républicaine tout en légitimant la monarchie constitutionnelle, modèle du régime de Louis-Philippe, en insistant sur l'histoire de ses origines. Le Départ, renvoyait à Valmy, première victoire de la France révolutionnaire contre les monarchies coalisées. Louis-Philippe aimait à faire savoir qu'il avait participé à cette bataille fondatrice comme à celle de Jemmapes. Le recours à cette inconographie est donc conforme à son régime. On peut trouver une iconographie commune avec La Liberté Guidant le Peuple de Delacroix (1831) notamment dans le geste du bras tendu représentant politiquement le mouvement, le progrès en amrche. La gestuelle est commune aux 2 oeuvres.
Delacroix. La Liberté Guidant le Peuple. 1831.
Huile sur toile de 260 X 325 cm. Conservée au Louvre
L'analogie avec la scupture de Rude semble d'autant plus fondée puisque les esquisses de Delacroix avaient pour but de glorifier la Grèce insurgée contre la domination turque et représentait une allégorie du peuple prenant les armes pour son indépendance. Cette icinographie d'une femme quasi-divisinée incarnant l'idée de la Nation guidant le peuple se retrouve dans la culture commune de nombreux artistes.
Isidore Pils. Rouget de l'Isle chantant la Marseillaise
757 X 600 cm. Huile sur toile conservée au Musée Historique de Strasbourg
Cette iconographie correspond au même code visuel du bras levé qui signifie l'enthousiasme. C'est une image très diffusée sous la IIIème République, elle devient porteuse de l'emblême de l'hymne national.
La réussite de Rude est de faire correspondre dans la même oeuvre une allégorie de la guerre et un évènement historique de la geste nationale renvoyant à une épopée moderne. Cependant, il n'a pas recours aux vêtements de la Révolution mais garde un mode allégorique. Il crée une sculpture morale dont les modèles sont tirés non plus de l'Antiquité mais de l'histoire moderne tout en combinant l'idéal de la nudité héroïque de l'Antique et le "genre celtique" c'est à dire gaulois. Les types physiques, les costumes et accessoires sont issus de la mode ossianique populaire sous le Consulat. Rude transpose ainsi l'action historique des volontaires de 1792 dans une antiquité gauloise, à la fois nationale et mythique.
Le modèle grec, redécouvert par Lord Elgin inspire également les artistes. Les mouvements sont directement inspirés des sculptures de Phidias au Parthénon.
Reconstitution de la frise est du Parthénon.
Querelle de Poséidon et Athéna
Très rapidement cette sculpture de Rude entre dans l'imaginaire collectif et à chaque situation de péril national, les politiques font appel au Départ des Volontaires pour conjurer les défaites ou soutenir les efforts de guerre.
Raoul Dufy. Les Nations alliées pour le triomphe de la Liberté
La Marseillaise de Rude sert ensuite un tout autre propos politique, elle devient une allégorie du peuple ouvrier sous la plume de Steinlen, la figure féminine lève le bras qu'elle a libéré de ses chaines, elle devient une Marianne du prolétariat.
T. A. Steinlen. La Libératrice
La figure féminine qui possède encore toute sa force, ici est associée à une idéologie de changement social.
Cette image ressurgit au moment de la Grande Guerre et se retrouve sur de nombreuses affiches appelant à l'engagement. Elle sera également utilisée durant la seconde Guerre Mondiale.
Affiche destinée à l'engagement
Conservée au Mémorial de Caen
Cette figure sera également récupérée par les extrèmes-droites qui en font une image idéale de la France.

L'outrance et parfois une certaine forme d'abstraction, ont permis l'utilisation à des fins de propagande dès la fin du XIXème siècle d'une sculpture que son créateur avait voulu le symbole d'une guerre juste. Mais l'exploitation de cette figure populaire permet de découvrir une relecture de l'histoire nationale et introduit l'idée d'une trahison; c'est parce que l'idée de Rude a pu être subvertie et pervertie que son appropriation par la république comporte une tell charge émotive.

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