dimanche 20 février 2011

Les scènes de Marché

ieter Aertsen. Scène de Marché. Non daté

Huile sur bois; 127 X 85 cm. Conservé au Musée de Cologne

Les scènes de marché sont les indicateurs d'une époque fortement marquée par des bouleversements économiques importants. Elles témoignent d'une conscience des valeurs modifiées et d'un grand intérêt porté à de nouveaux biens fabriqués dans de nouvelles conditions. Les Pays-Bas sont la région où cette modification est le plus visible. Ils faisaient partie de l'immense empire de Charles Quint mais en raison de leur développement économique, mais étaient depuis très longtemps des centres de haute production. Organisés depuis très longtemps (XIIIème siècle) en corporations, les régions des Flandres, du Brabant, de Gand, Louvain, Bruxelles... développent les premières manufactures au XIVème siècle. L'artisanat corporatif disparait peu à peu au profit de ces manufactures qui assurent sur le marché la présence de produits en croissance constante et continue. Au XVIème siècle, on assiste à l'avènement du port d'Anvers et à son port qui devient un immense centre de commerce et favorise l'installation de comptoirs.

Le domaine agricole connait également de grands bouleversements. De nombreux riches citadins rachètent des propriétés rurales à des nobles appauvris qui n'exploitaient plus leurs terres mais se contentaient de vivre de leurs rentes. Ils insufflent de grandes quantités d'argent et de nouvelles méthodes de production. L'Europe connait également à cette période un accroissement important de la population qui demande une grande production alimentaire. Ces nouvelles manières de produire sont à l'origine de bouleversements politiques qui voit la disparition progressive du système féodal.

Pieter Aertsen. Le Christ et la Femme adultère. 1559. Huile sur bois
122 X 177 cm. Conservé au Kunstinstitut de Francfort

Fêtant la nouvelle richesse, le peintre Pieter Aersten, originaire d'Amsterdam qui séjourna à Anvers, composa de nombreuses scènes de marché qui acquirent chez lui une dominance propre à repousser le sacral à l'arrière plan. Dans Le Christ et la Femme Adultère, l'action biblique a été repoussée à gauche au fond du tableau tandis que le premier plan célèbre le marché et ses produits offerts.

Le Christ et la femme adultère, scène biblique du fond.

Ce qui est étrange, c'est le mélange des différentes époques, : une scène biblique avec costumes antiques, et une situation actuelle avec des paysans en costumes contemporains avec leurs marchandises. Aertsen avait déjà réalisé ce type de mise en scène avec son tableau Ecce Homo vers 1550.

Pieter Aersten. Ecce Homo. vers 1550. Huile sur bois

59,5 X 122,5 cm. Conservé à Munich à la Alte Pinakothek

Ici aussi, le peintre offre la priorité à la séquence de type parabolique représentant des étalages et des chariots portant des provisions. Pendant longtemps, ce type de mélange dans les scènes a été mis sur le compte du maniérisme, il faut y voir en réalité une forte référence aux bouleversements économiques et sociaux qui se mettent en place. On assiste même à une fétichisation de l'objet, dans une société désenchantée par la religion, le moment où la marchandise gagne un certain rayonnement et il semble presque s'en dégager un effet magique. Ce déballement de marchandises permet également de faire des effets picturaux, des étalages de formes, de couleurs, de textures qui semblent ravir les peintres. Ces tableaux sont aussi de vives critiques aux prémices d'une société de consommation dans la mesure où ces marchandises ne sont pas à la portée de tous, elles stimulent les convoitises et accentuent des besoins artificiels reléguant la vie spirituelle éternelle à un arrière plan au profit d'une vie matérielle qui ne satisfait que des envies immédiates.